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« La montagne n’est pas qu’un espace de loisir » : entretien avec Valérie Paumier

24 juin 2024
4 min
« La montagne n’est pas qu’un espace de loisir » : entretien avec Valérie Paumier

L'article en Bref

Valérie Paumier est la fondatrice de l'association Résilience Montagne, une association qui se bat pour protéger la montagne des conséquences du réchauffement climatique. Après une carrière dans le tourisme, Valérie a pris conscience de l'urgence climatique et a décidé de dédier ses efforts à la préservation des écosystèmes montagnards. Elle nous parle des défis actuels, des solutions possibles et de l'importance de repenser la montagne comme un espace à vivre toute l'année.

Sommaire

Bonjour Valérie ! Pouvez-vous vous présenter et expliquer ce qui vous a conduit à créer Résilience Montagne ?

Valérie Paumier : Je m'appelle Valérie Paumier, j'ai 54 ans. J'ai fondé Résilience Montagne après une carrière classique en entreprise, durant laquelle j’oeuvrais justement à développer les stations d’un point touristique et financier. Un jour, j'ai pris conscience de la crise climatique et écologique, j’ai compris que je faisais partie du problème. J'ai décidé de changer d'activité pour me concentrer uniquement sur ces problématiques, notamment en montagne.

Quel est l'objectif de Résilience Montagne ?

Valérie Paumier : Résilience Montagne est une association dont l'objectif est de vulgariser et informer sur l'impact du réchauffement climatique en montagne et en vallée. Nous essayons d’expliquer les causes, les conséquences et de proposer des solutions en mettant en lien les différents acteurs concernés par ces problématiques.

Pouvez-vous expliquer la situation actuelle en montagne et pourquoi il est crucial de changer de modèle ?

Valérie Paumier : Les chiffres du GIEC et des climatologues montrent un recul alarmant de la neige. Les glaciers fondent, menaçant notre eau potable, car ils sont les châteaux d'eau de l'Europe. Les cycles de l'eau sont perturbés, ce qui affecte les écosystèmes et la biodiversité. Par exemple, en Haute-Savoie, malgré une apparence verte et bleue, nous avons été en alerte sécheresse pendant plusieurs mois ces dernières années. Cela prouve que notre modèle actuel n'est plus viable.

« Nous devons apprendre à apprécier la montagne différemment, avec un accent sur la contemplation de la nature »

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Quelles solutions proposez-vous pour contrer cette situation ?

Valérie Paumier : Il faut cesser de construire de nouveaux lits touristiques en montagne, car cela augmente les émissions de gaz à effet de serre. On devrait utiliser les infrastructures existantes et arrêter d'investir dans des projets qui ne tiennent pas compte de la réalité climatique actuelle. Il faut également développer un tourisme plus durable, moins dépendant du ski alpin et plus axé sur des activités respectueuses de l'environnement.

Comment faire évoluer les mentalités et les politiques pour un modèle plus durable ?

Valérie Paumier : Il faut repenser la montagne comme un espace à vivre toute l'année, pas seulement pour le tourisme saisonnier. Il est crucial de repeupler les villages de montagne à l'année pour recréer une dynamique économique stable. Les politiques doivent intégrer la sobriété et arrêter de voir la montagne uniquement comme une source de profit.

Que s'est-il passé à La Clusaz, et comment les habitants se sont-ils mobilisés ?

Valérie Paumier : À La Clusaz, il y avait un projet récent de construction d'une cinquième piste d'altitude pour augmenter l'enneigement artificiel de la station. Elle devait être construite dans un bois très protégé, abritant des espèces protégées, et utiliser une source d'eau potable du village pour remplir ce réservoir. Alors les habitants ont créé le collectif Sauvons-Borgare pour empêcher ce projet et ont proposé des solutions alternatives. Le tribunal administratif de Grenoble leur a donné raison. C'est la première fois qu'un projet de cette envergure est annulé par une association d'habitants et cela inspiré d'autres collectifs de montagne. Le nombre croissant d'associations qui me contactent montre que les montagnes se mobilisent et que les gens ne supportent plus de voir leur territoire détruit pour une industrie en déclin.

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« Les écoles de ski peuvent devenir des écoles de la nature »

Êtes-vous optimiste pour l'avenir de la montagne ?

Valérie Paumier : Oui, je suis optimiste. De plus en plus de personnes comprennent la problématique et se mobilisent. Les gouvernances politiques et économiques sont de plus en plus critiquées, et les associations ne sont plus seules. J'espère que ces mouvements pourront influencer les décisions politiques à l'avenir.

Comment continuer à profiter de la montagne sans la dégrader, sachant que les loisirs ont des bienfaits sur la santé mentale et physique ?

Valérie Paumier : Il faut apprendre à apprécier la montagne différemment, avec un accent sur la contemplation de la nature, qui est gratuite et bénéfique. Les pouvoirs publics doivent développer des transports pour éviter la surfréquentation.

Les écoles de ski peuvent devenir des écoles de la nature, proposant la découverte de la botanique, de la nature et de l'artisanat. Comprendre la nature pousse à la respecter.

Pour rendre cela viable, il faut s'engager politiquement. Rejoindre des associations, organiser des assemblées populaires et des conférences avec des experts sont essentiels. Aux prochaines élections municipales, des membres d'associations pourraient se présenter pour apporter des changements concrets.

« Il n'est jamais trop tard pour bien faire. J'espère que les jeunes générations apprendront à respecter la nature »

Et les professionnels ? Comment devraient-ils gérer l'activité en montagne ? Faut-il limiter, réduire, ou arrêter certaines activités ?

Valérie Paumier : Quand on parle de la rentabilité de la montagne, les lobbies du ski mettent en avant les 55 millions de forfaits vendus chaque année, ce qui représente une manne financière importante. Mais remplacer ces 55 millions de forfaits par autant de passes pour des activités comme la raquette n'est pas forcément réaliste. L'industrie du ski génère environ 9 milliards d'euros. Trouver un modèle économique de remplacement qui génère autant d’argent semble irréaliste et pourrait créer une activité tout aussi dévastatrice sur l'année entière. Il faut reconnaître que nous allons faire face à une perte de chiffre d'affaires inévitable. Plutôt que de continuer à investir dans des infrastructures qui dépendent de la neige, il vaut mieux anticiper cette réalité et cesser les investissements lourds dans le ski alpin. Le renoncement est difficile, mais nécessaire.

Comment faire évoluer les mentalités et les politiques pour un modèle plus durable ?

Valérie Paumier : Les montagnes doivent être repensées comme des espaces à vivre toute l'année, et non plus uniquement comme des lieux de sport et de loisirs saisonniers. La saisonnalité disparaît avec le manque de neige, donc il est crucial de repeupler les villages de montagne avec des habitants permanents pour créer une économie stable. Paradoxalement, plus on construit de lits touristiques, moins il y a d'habitants permanents, car les locaux ne peuvent plus se loger sur leur propre territoire. Il faut arrêter cette hémorragie et se concentrer sur la création de villages dynamiques à l'année, accessibles pour ceux qui souhaitent y vivre. Cela nécessite de mettre la sobriété au cœur du système économique de la montagne et de cesser de cibler uniquement une clientèle internationale haut de gamme, qui continue de contribuer à la pollution carbone. Nous devons trouver des solutions pérennes à moyen terme plutôt que de vivre d'un hiver à l'autre dans une logique de court terme.

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Et vous, finalement, quel est votre lien personnel avec la montagne aujourd'hui ?

Valérie Paumier : Aujourd'hui, je préfère me promener en montagne en toute saison. Je n'arrive plus à payer un forfait de ski car j'ai du mal à soutenir ce système. Je privilégie les balades contemplatives sur les chemins de randonnée ou en raquettes, en appréciant ce qui m'entoure.

Mes centres d'intérêt ont changé. À 54 ans, je me dis que si j'avais 10-15 ans de moins, je referais des études en géographie, géomorphologie ou hydrologie pour voir la montagne différemment. Nous avons été tellement habitués à consommer tout ce que nous voyons, sans réfléchir… Mais Il n'est jamais trop tard pour bien faire. J'espère que les jeunes générations, influencées par des personnes avec plus d'éthique, apprendront à respecter la nature.

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À propos de Frédérique Josse

Chaque jour, j'essaie de comprendre comment évolue le tourisme. J'écris sur le tourisme durable, l'outdoor et l'économie circulaire.

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