Angèle Paty, aventurière à vélo
À tous ceux qui pensent que le voyage à vélo n’est réservé qu’aux ultra-sportifs et aux frappés de trail. Voici de quoi vous faire mentir : Angèle Paty, 21 ans, a commencé le vélo… en 2020, sur un coup de tête. Trois ans plus tard, son feed Instagram est envahi de photos à vélo et elle est même ambassadrice de plusieurs marques d’outdoor.
Salut Angèle ! Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de toi, pour commencer ?
J’ai 21 ans, je suis étudiante à Sciences Po Paris et passionnée d’aventure et de cyclisme.
Depuis toujours ?
Pas du tout ! Depuis 2020, seulement. J’ai commencé après le premier confinement. J'avais un job d’été à Montpellier, chez mes parents et j’ai ressenti le besoin de m’échapper. J’ai acheté mon premier vélo et j’ai commencé à en faire toute seule. Ça m’a permis de redécouvrir ma région, les jolis petits villages, les belles routes de campagne. Au début, je partais 2 heures, juste pour 30 km. Et petit à petit, j’ai allongé mes distances, jusqu’à réussir, à la fin de l’été, à faire mon premier 100 km !
Ça change quoi, de voyager à vélo ?
C’est un peu la géographie du sensible. Tous les sens sont stimulés, pas seulement la vue : les odeurs, les sons. Tu vis un moment de connexion à la nature, quand tu te déplaces à vélo.
« À vélo, tous les sens sont stimulés, c'est la géographie du sensible »
Quels sont tes premiers souvenirs à vélo ?
Je me rappelle qu’on partait faire des balades autour de chez nous, dans des champs de coquelicots qui ont été remplacés par des lotissements. À 13 ans, je suis partie en échange en Allemagne. Là-bas, on faisait tout à vélo, il y avait même des contrôles de sécurité des vélos et les jeunes étaient très sensibilisés à ce sujet. Ça m’avait marqué.
D'où vient ton amour pour l'aventure ?
Je l’ai développé avec le vélo, petit à petit. Ça m’a vraiment donné des ailes : de la liberté, de la confiance. Et c’est comme ça que j’ai eu le courage de faire mon premier voyage seule, à vélo, en 2021, quand j’avais 19 ans. Je suis partie deux mois seule, pour relier Montpellier à l’Écosse : 2500 km ! À l’époque, j’étais sportive, mais je n’avais jamais fait de bivouac. J’avais une immense motivation : le Covid m’avait empêché de partir en Écosse pour mes études. C’était dur. J’étais loin de mes amis, tous les cours étaient en ligne… J’ai eu envie de dépasser mes peurs et mes doutes. Et hop, je suis partie, en mode “rookie”, sans GPS, sans savoir réparer mon vélo correctement, parce que c’est d’abord ça partir à l’aventure !
Comment tu as vécu cette initiation ?
Je me disais : tu peux y arriver, il faut juste que tu apprennes, que tu lâches prise, car il y aura toujours des incertitudes. J’avais un accord avec ma mère, qui devait me trouver des endroits où dormir pour que je limite le bivouac, parce que c’est une grosse charge mentale. Je ne me suis pas mise dans des situations extrêmes. J’aime dormir le matin, ça m’est d’ailleurs arrivée de décoller à 11h ! Quand je passais dans une ville, je prenais le temps de découvrir l’atmosphère d’un endroit, je flânais dans les marchés. Je me suis laissée guider. Il faut arrêter de vouloir voyager comme tout le monde. Si pour ton premier trip, tu veux aller tous les soirs dans un gîte ou un hôtel, pourquoi pas ?
« Il faut arrêter de calquer nos voyages sur les autres »
Est-ce qu’en tant que jeune femme, tu as eu des difficultés ?
C’est marrant, c’est systématiquement la première question qu’on me pose. Non, jamais. J’ai l’impression que partir seule comme ça force le respect surtout. Les gens ont envie de t’aider et de te féliciter.
Est-ce qu’il y a eu des moments difficiles ?
Quand j’étais en Irlande, pendant le Covid, il y a eu quelques jours de quarantaine. J’étais hébergée chez des amis et j’étais stoppée dans mon élan pour rejoindre l’Écosse, parce que le ferry était fermé. Je me demandais ce que je faisais là, je ne savais pas comment poursuivre mon plan, alors qu’il ne me restait que 1000 km pour arriver à destination. J’ai eu un énorme down. Tout mon projet était en miettes, c’était super dur, mais je me suis relevée, j’ai changé d’itinéraire et j’ai continué. C’est ça, le voyage à vélo. Parfois, on est fatigués, on se sent loin de chez soi, on n’a pas eu de repas chaud et de douche depuis un moment, alors on est à fleur de peau. Mais je crois que c’est aussi ça qui crée les souvenirs.
« Mon voyage à vélo a été rédempteur »
Pourquoi être partie seule ?
C’est vraiment un choix. Je voulais me prouver que je pouvais y arriver. Et il y avait une démarche rédemptrice. À cause du confinement, je n’ai pas pu partir en Écosse pour mes études comme je devais le faire. J’étais chez mes parents, complètement isolée, tous les cours étaient en ligne, c’était hyper compliqué de rencontrer du monde, parce que mes amis étaient aux quatre coins de l’Europe. Je me sentais super seule. Mais dès que j’ai eu cette idée de rejoindre l’Écosse à vélo pour réaliser un reportage photographique sur la vie insulaire, je me suis sentie mieux. C’était ma revanche sur le Covid.
Est-ce que tu as souffert de la solitude pendant ces deux mois ?
Jamais. Il y a ce sentiment étrange, que les Anglais distinguent parfaitement. “Being alone but not feeling lonely”. J’étais seule, mais je ne me sentais pas seule. J’ai fait énormément de rencontres. Quand j’arrivais dans un village, les gens étaient curieux, certains venaient tout de suite vers moi.
« Je ne suis pas née dans le vélo, j’ai tracé ma route seule. Ça signifie que d’autres femmes peuvent le faire »
Tu voudrais faire de l’influence outdoor un métier ?
Non, c’est vraiment du loisir. J’ai juste partagé mes aventures avec mes amis, et l’algorithme a fait que beaucoup de gens les ont suivies. C’est vrai que ça m’a ouvert plein d’opportunités : des stages dans le sport, mais aussi des participations à l'Étape du Tour et Paris Roubaix Challenge, qui sont généralement très masculines. Au départ, je ne voyais pas où était ma place. Et à après réflexion, je me suis dit que cela pouvait inspirer d’autres femmes, qui n’osent pas se lancer. Je ne suis pas née dans le monde du vélo, j’ai tracé ma route seule. Si d’autres filles veulent le faire, elles peuvent. Alors de manière soft et indirecte, avec mon Instagram, si je peux leur montrer que c’est possible, tant mieux. J’ai reçu énormément de messages de jeunes qui me disaient que mes aventures les inspiraient.
Est-ce qu’il y a un engagement écologique dans ta démarche ?
Au tout début, non. Je me régalais sur mon vélo, point barre. Et puis j’ai réalisé que cette simplicité était riche d’enseignements. Aujourd’hui, je suis persuadée que oui, montrer qu’en allant voyager à vélo, autour de chez soi, tu te régales autant, voire plus, qu’en prenant un avion pour aller aux Seychelles, on peut éveiller les consciences et changer les mentalités sur l’environnement. Ces messages positifs sont complémentaires des discours alarmants. Il faut des messages radicaux qui mettent en lumière l’état des choses, mais aussi montrer qu’une voie est possible et qu’elle est tout aussi agréable.
Tu penses que l'influence pourrait un jour devenir positive ?
Ça joue un rôle, mais on est loin du compte. Quand l’influence est liée aux marques, il y a toujours un enjeu de rentabilité. Moi, je voudrais travailler avec les territoires et promouvoir du sens plutôt que des objets matériels. Dans l’outdoor et le vélo aussi, on peut encourager la surconsommation et faire croire qu’il y a besoin d’un tas de matériel pour partir en aventure. C’est faux. Tu peux partir avec ce que tu as chez toi, tu n’as pas besoin d’avoir la dernière tente pour bivouaquer.
« Le vélo m'a aidé à me détacher de mon image et à modifier mon rapport à mon corps »
Le vélo a été un outil d'empouvoirement pour les femmes... Est-ce que tu crois qu'il peut l'être de nouveau aujourd'hui ?
Oui, à 100% ! Le vélo m’a donné confiance en moi. Il m’a permis de me détacher de mon image et de modifier mon rapport à mon corps. Tout d’un coup, tu vois tes jambes pour ce qu’elles te permettent de réaliser : parcourir des kilomètres pour faire Paris/Londres. Ce switch-là est très puissant. On ne se sent plus enfermée dans son corps. Pendant ces deux mois à vélo, je ne me suis pas regardée dans le miroir et je me suis détachée de ce que les gens peuvent penser de moi. À la fin, ça ne me dérangeait pas de faire une vidéo avec les cheveux en pagaille !
À quoi ressemblera le tourisme dans 50 ans ?
On prendra enfin conscience que ce n’est pas la distance qui fait l’exotisme et qui rend un voyage incroyable. On arrêtera de dire “j’ai fait Madrid”, j’ai “fait Londres, comme s’il fallait à tout prix cocher des cases. Pour mon dernier voyage sans vélo, je suis partie au Maroc avec mon copain. À Marrakech, on est allés visiter le jardin Majorelle, l’étape incontournable et je me suis amusée à observer les comportements des touristes. C’était affolant : les gens se prenaient en selfie dans le seul but de poster sur Instagram. Rien que pour ça, j’ai envie de reprendre mon vélo.
Quels conseils donnerais-tu sur le voyage à vélo ?
Faire avec ce qu’on a, sans se mettre la pression. Si on n’a pas les moyens financiers de partir, utiliser plein de petits subterfuges, comme collaborer avec un blog outdoor. Et enfin, bien se documenter avant de partir : regarder les vidéos de Chilowé, des Others, pour s’inspirer. Beaucoup de marques ou d'entreprises se sont positionnées sur la micro-aventure et c’est très facile de tracer des itinéraires.
LA MINUTE CULTURE d'Angèle Paty
Une musique pour les virages : The Long and winding road, The Beatles
Une musique pour les descentes : On top of the world, Imagine dragons
Une musique pour les montées : Septième ciel, de 2th
Un podcast pour chiller sur son vélo : Le temps d’un bivouac, France Inter
Un livre pour partir à l'aventure : On a roulé sur la terre, Sylvain Tesson et Alexandre Poussin