Le voyage à vélo, un art de vivre
Hello Emma, est-ce que tu peux nous parler de toi stp ?
Je m’appelle Emma, je suis franco-anglaise ! J’ai grandi en France, mais je vis depuis 10 ans à Londres… quand je ne suis pas en voyage à vélo ! J’ai fait mon premier voyage en 2017. J’ai parcouru 8000 km du sud de l’Argentine jusqu’au Pérou, sur un gros vélo hybride, avec deux amies. Depuis, je n'ai plus jamais lâché mon vélo d'aventure. Tous mes voyages sont basés sur le camping sauvage, le réseau Warmshowers et les itinéraires guidés par mes connaissances en route. S’il faut faire un détour de 400 km pour passer une soirée chez un ami qu'on n’a pas vu depuis longtemps, fine ! Depuis 2020, je me suis mise au bikepacking sur vélo de route, avec un premier tour du Massif Central. Et depuis un an, je me suis lancée dans l'ultra endurance, avec des courses de 200, 400km.
Comment cette passion a impacté ta vie ?
En 2020, j’ai démissionné de mon poste d’analyste en politiques publiques et j’ai fait une formation de mécanicienne vélo. Je ne voulais plus d’un boulot cinq jours par semaine devant l’ordi. L'été, je suis guide à vélo en Normandie et en Bretagne, pour des touristes américains. Le reste du temps, je suis freelance trois jours par semaine, de quoi me laisser du temps pour vadrouiller à vélo. L'année dernière, j'ai passé 2 mois entre l'Allemagne, la Suisse, l'Italie et la France avec mon ordi dans ma sacoche, en m'arrêtant trois jours par semaine pour bosser et l'été dernier (2023), j’ai fait pareil pour me rendre à un mariage en Italie !
« Après Ushuaïa-Lima à vélo, je me suis dit : tu peux aller où tu veux, quand tu veux »
Perito Moreno, Patagonie argentine, 2017, durant son premier voyage à vélo © emma_up_cycles
Pourquoi ton voyage à Ushuaïa a déclenché une telle passion pour le biketouring ?
On s’était fixées une moyenne journalière de 70 km par jour et on campait tous les soirs. En Patagonie, on posait notre tente où on voulait, mais au centre du Chili, c’était tellement densément peuplé qu’on toquait chez les gens pour planter notre tente dans leur jardin. Et ça, c’était magique, parce qu’on a fait des rencontres incroyables. J’ai appris l’espagnol, découvert comment les gens vivaient, mangeaient, interagissaient. Bref, c’était le début de toutes les aventures de ma vie. Et surtout, ça m’a donné confiance en ma capacité à toujours trouver des solutions. Je me suis dit : “si tu as réussi à faire ça, tu peux aller où tu veux, quand tu veux”.
Pourquoi ce besoin de voyager sans cesse pour être heureuse ?
J’aime la découverte. Ce qui m’excite, c’est ne pas savoir comment tu manges, où tu peux prendre le bus, pourquoi les gens vivent différemment de moi. Je m’ennuie si je connais trop !
Emma, en pleine découverte du Château de Chambord (Loir-et-Cher) © emma_up_cycles
Quelle est la différence entre le biketouring et le bikepacking ?
Le bike touring, c’est un voyage avec un vélo hybride ou un VTT, avec des sacoches sur le côté, qui peuvent peser jusqu’à 80L. C’est donc plus lourd et pas très aérodynamique.
Le bikepacking, c’est sur un vélo de route, un gravel, avec des sacs positionnés dans la ligne du vélo, sur le cadre, derrière le guidon,.. C’est donc plus aérodynamique, mais tu dois voyager beaucoup plus léger !
Que fais-tu exactement quand tu es guide à vélo ?
Je travaille pour une entreprise américaine qui propose des balades en Europe et aux États-Unis. Les clients sont majoritairement des retraités américains (moyenne d’âge 62 ans !), qui veulent découvrir la France pour une semaine ou plus. Ce sont des groupes d’une vingtaine de personnes novices et je les guide à parcourir entre 30 à 50 km par jour, à la fois sur la mécanique et l’effort, dans leur parcours entrecoupé de visites faites par d’autres guides.
« Ushuaïa-Lima, c'était cette alternance folle de climats : la mer, les glaciers, le désert »
Quel a été le moment le plus fort dans ce voyage de 6 mois à vélo ?
Ce qui me coupait le souffle, c'étaient ces lieux totalement ouverts et plats où l'on voyait le paysage à des kilomètres à la ronde et cette alternance folle de climats : on a vu des glaciers, mais aussi le désert et la mer !
« Le voyage à vélo oblige à créer des liens, à faire preuve de jugeotte et d'instinct »
Le camping sauvage, la base de la vie d'Emma en biketouring © emma_up_cycles
Est-ce qu’il y a eu des moments difficiles ?
On a commencé à 4… on a fini à trois ! Au début, on était très stressées de faire notre moyenne de distance et certains jours, on était épuisées. Il fallait alors gérer ses émotions et celles des autres, et c'était parfois difficile quand, en plus, le soir, on galérait. Ça m’a appris à choisir mes batailles et à mieux encaisser les émotions des autres.
Pour toi, le vélo est vecteur d’indépendance ?
Oui, il y a ce côté débrouille pour savoir où dormir ou comment réparer son vélo. Ça oblige à créer des liens, et à faire preuve de jugeotte et d’instinct. Il faut apprendre à suivre certains et pas d’autres et à suivre ses tripes quand on ne le sent pas.
Salar de Uyuni, Bolivie, 2017 © emma_up_cycles
« Le voyage à vélo m’a donné confiance en mes capacités à toujours trouver une solution »
Est-ce que tu as un conseil à donner pour les femmes qui voyagent seules
Va vers des gens qui t'attirent vraiment, car c’est donnant-donnant, la personne qui t’accueille prend, elle aussi, un risque de t’ouvrir ses portes. Mais surtout, sache que tu peux changer d’avis en cours de route. Si tu le sens plus, même si c’est gênant, tu fais demi-tour.
Passons aux questions ultra-concrètes maintenant ! Quels sont les trucs gênants auxquels il faut penser quand on voyage à vélo ?
Si tu as des problèmes de friction et de boutons, il faut faire attention à l’hygiène. Si possible, lave ton short tous les jours, ou mets une culotte/un boxer en dessous. Sinon, ajuste ta selle, et si tu n'en peux plus, enroule une écharpe autour pour plus de confort.
Pour faire pipi, perso, je tiens mon vélo coté route et je m’accroupis derrière. Mais pour les femmes plus timides, la bonne astuce est de poser son vélo à droite et d’uriner de l’autre côté de la route. Les voitures sont attirées par les réflecteurs du vélo, elles n’y verront que du 🔥.
Pour les selles, c’est l’un des trucs les plus délicats en camping sauvage, mais la meilleure solution est de prendre une pelle pour enterrer son 💩 et utiliser de l’eau pour se laver. Le papier toilette met des années à disparaitre, c’est hyper mauvais pour l’environnement.
Les détroits de Giaredo, Toscane (Italie) © emma_up_cycles
Comment tu choisis ton itinéraire ?
En France, il y a énormément de traces GPX disponibles. Si je fais un voyage court, type Londres-Manchester, je cherche la route et j’utilise Komoot, parce que l’appli différencie les types de surface et qu’elle est participative. Les cyclistes partagent leurs plus belles routes, c’est génial. Avec la trace et Komoot, je me fais mon propre itinéraire en passant par de jolis endroits.
« Il faut avoir le temps du voyage lent pour que le tourisme durable se développe »
Toi qui aimes tant le camping sauvage, comment tu fais ?
J’adore parce que c’est nouveau tous les jours, qu’il y a des points de vue incroyables et que je dors toujours comme un bébé. C’est beaucoup de feeling, mais il faut surtout prévoir du temps. Je commence à chercher 2 h 00 avant la tombée de la nuit. Il y a aussi des applis comme le réseau Warmshower, géré par des cyclistes. C’est génial parce que les gens qui t’accueillent savent ce dont tu as besoin et ils te recommandent les plus belles routes. Il y a d’autres applis, mais c’est plus de travail et moins de spontanéité. En Angleterre, je toque à la porte d’agriculteurs 😂, tout simplement !
Un cycliste a toujours besoin de se ressourcer, surtout dans le Massif central (2020) ! © emma_up_cycles
Quel est ton itinéraire rêvé ?
Les montagnes de l’Atlas. Je pense que c’est difficile, car il y a beaucoup de différences de températures entre le jour et la nuit. Mais je le ferai un jour 🤗.
« C'est génial que le bikepacking se développe, mais je n'aime pas la surconsommation et le snobisme autour »
Que penses-tu de la folie actuelle pour l’outdoor et le vélo ?
C’est super ! Quand j’ai commencé le voyage à vélo, il y a 6 ans, personne n’en parlait. Mais ça s’accompagne malheureusement d’une vague énorme de ventes de vélos très chers et d’un certain snobisme. Quand on fait un voyage à vélo, on a juste besoin d’un vélo bien entretenu. J’ai fait Paris-Londres sur une vieille bécane des années 80. Plein de gens me disaient : “c’est une pièce de musée ton truc !”. Les coureurs pro utilisaient ces modèles il y a 40 ans… Si les pneus sont bons pour la surface et qu’ils sont bien protégés contre les crevaisons, c’est parfait !
La préparation du sac d'Emma pour deux semaines dans les îles Scilly, à l'ouest des Cornouailles (Royaume-Uni) © emma_up_cycles
Que penses-tu du développement du tourisme durable ?
J’ai arrêté de prendre l’avion en Europe. De plus en plus de gens le font. Mais je suis une privilégiée, je ne travaille que trois jours par semaine ! J’ai le temps du voyage lent. Pour moi, il y a une vraie réflexion à avoir sur notre système, dans son ensemble. Difficile, quand on travaille beaucoup et qu'on est épuisés, de prendre deux jours pour aller en Italie. Pareil pour le sport : on en a besoin parce qu’on passe trop de temps assis sur une chaise. Quelque part, on s’est éloigné de nos penchants “naturels”...
La minute culture d'Emma Karlaske
Une musique pour les montées : No Roots, Alice Merton
Une musique pour les descentes : Nobody Scared, Porij (J'ai une espèce de vertige des pentes donc il faut que je m'auto-coach en descente !)
Une musique pour plats : Ayekouma, Falle Nioke
Une lecture pour découvrir le voyage à vélo : Je dirai :
➡️ Le blog incroyable de Patricia et Christian, pour développer des tripes et de l'aplomb (et bien sûr, rêver)
➡️ Voyage d’une Parisienne à Lhassa par Alexandra David Neel, pour la débrouille en terre inconnue.