Benoit Maurin : quand le vélo ré-enchante l'industrie française
Depuis toujours, il les désosse, les réassemble, les bichonne. Dans son garage, dans la rue, puis dans une asso de réparation participative, où il rencontre deux autres frappés de biclounes. C’est avec eux que son passe-temps finit par se transformer… en gagne-pain ! Le voyage à vélo dans la peau, un hamac et un duvet jamais très loin pour une virée en terre girondine sur son propre Jean Fourche, Benoît Maurin n’a qu’une obsession : que le vélo (français, bien sûr), inonde la France !
Hello Benoît ! Chez Lokki, on aime bien briser la glace avec une question un peu perso, si tu me l'autorises : peux-tu nous raconter tes premiers "émois" avec le vélo ?
Je me souviens comme si c’était hier de celui sur lequel je pédalais chez mes grands-parents, dans la région d’Alès... J’avais 5 ou 6 ans. Je faisais des grands dérapages sur ce single speed à rétropédalage pour enfants, un modèle marron aux pneus flancs beiges, style gros boudins. Il ferait fureur aujourd’hui, avec son style vintage ! L’autre image qui me vient en tête quand je replonge dans mes souvenirs, c’est le premier vélo qu’on m’a offert quand j’avais 8 ans. C’était un magnifique VTT rouge… D’occasion. Je m’en suis rendu compte en apercevant des petites rayures discrètes et j’étais totalement sous le choc. J’étais allé voir ma marraine et je lui avais sorti, avec une naïveté qui me fait sourire aujourd'hui : “Brigitte, tu t’es fait arnaquer, je crois qu’il est pas neuf, mon vélo”. Cette anecdote me fait beaucoup rire aujourd’hui, parce qu'il n'y a rien de plus écolo qu'un vélo d'occasion... donc bravo Brigitte !
Pourquoi avoir choisi l’activité vélo comme carrière ?
Maël Le Borgne, Mathieu Courtois et moi, on s’est rencontrés en 2018, dans un atelier de réparation de vélo participatif, à Bordeaux. On bricolait nos vélos, puis on est devenus bénévoles pour apprendre aux gens à réparer eux-mêmes leurs bécanes. Je venais de lancer une agence de road-trips sur mesure, après une carrière de 10 ans comme ingénieur mécanique dans l’énergie. Je me suis vite épanoui dans ma nouvelle vie d’entrepreneur. Puis je me suis rendu compte que j’avais besoin de travailler sur un produit que je puisse manipuler, car depuis toujours, je bricole des mobylettes, des vélos, des vieilles voitures.
Tu avais besoin, pardonne mon jeu de mots, de "remettre les mains dans le cambouis" ?
Oui. Je crois que j’ai vécu la même chose que ce que raconte le philosophe américain Matthew B. Crawford dans son essai “Éloge du carburateur”, qui a abandonné son métier trop cérébral pour créer quelque chose avec ses mains. C’est exactement ce qu’on a fait, en concevant notre propre marque de zéro, en inventant notre propre univers, avec un nom léger, Jean Fourche, qui colle à ce qu’on est vraiment, au quotidien.
« Je voulais faire un métier manuel, créer quelque chose avec mes mains »
Parlons-en justement, de ce nom, “Jean Fourche”. C’est léger, mais surtout, ça sonne un peu comme Jean Dupont ou Alice Martin… Bref, c’est un nom bien français ! Pourquoi est-ce que ça te tenait tant à cœur de redorer le blason de l’activité vélo tricolore ?
C’était l’une des conditions qu’on s’était fixées concernant l’industrialisation de notre vélo. On voulait relocaliser le plus possible. Malheureusement, le 100% français n’était pas réalisable, dans un coût maîtrisé. On a déniché une super entreprise au Portugal, qui soude à la main nos vélos, peints juste à côté de chez nous, puis assemblés dans nos propres locaux, à Bordeaux. Au final, 80% de nos composants sont européens, dont la batterie et le moteur français. On a également aussi travaillé le sourcing pour s’assurer de limiter l’usage plastique et les matériaux non durables.
Que viennent chercher les amateurs de voyage à vélo, selon toi ?
Du dépassement de soi, une mise au vert, un peu de sport, du partage et surtout, une expérience différente.
« Créer de la valeur sur le territoire français , ça donne des ailes »
Quelles difficultés as-tu rencontrées et comment tu les as surmontées ?
Quand on s’est lancés, on nous a souvent répétés : “tu n’y arriveras pas sans avoir levé 200 000 euros". Créer un nouveau produit, ça prend trop de temps et trop d’argent”. Mais nous, on avait notre passion, une envie folle de réussir. On a levé les barrières les unes après les autres, en tissant notre propre réseau. La plus grande d’entre elles a été le Covid, car nous étions au stade du prototypage pendant le confinement… Et je dois dire que ce qui nous a sauvé, c’est finalement notre valeur cardinale : produire localement. Si on avait fait fabriquer en Asie, Jean Fourche serait peut-être mort-né.
Quelle est ta plus grande fierté ?
Rouler sur mon propre vélo au quotidien, sur lequel je me sens tellement plus à l’aise que certains des plus beaux modèles que j’avais auparavant chez moi. Et croiser un inconnu sur un vélo Jean fourche dans la rue.
Originellement musculaire, Jean Fourche s'est peu à peu tourné vers l'électrique : pourquoi ?
Il ne faut pas rester dans notre bulle. Si tu veux survivre en tant que marque, tu dois t’adapter aux tendances et l’électrique en est une, particulièrement forte. Au départ, on ne voulait pas électrifier notre vélo, car on n’était pas alignés d’un point de vue écologique, surtout avec le matériel qu’on voyait circuler sur le territoire. Mais finalement, on a trouvé des solutions avec des marques françaises canons, comme Virvolt, qui mise sur la réparabilité, la production locale, tout comme nous. C’était parfait.
Comment décrirais-tu le mental pour réussir en tant qu’entrepreneur ?
Je suis de nature très positive. Mais construire quelque chose de bien pour notre société, redonner du bon sens à l’industrie du vélo, créer de la valeur et de l’emploi sur le territoire français, ça donne des ailes, c’est incroyablement stimulant. Alors, peut-être que naïvement, on se dit toujours qu’on va y arriver, tous les trois. Pendant le Covid, on s’est tous rendu compte qu’on était arrivés à des situations intenables : on a trop délocalisé, on a abusé. Cette prise de conscience nous a donné une envie, certainement un peu folle, de construire des vélos comme on le faisait dans l’après-guerre, pour redonner ses lettres de noblesse à l’industrie française et créer des emplois pérennes. Quand tu bosses avec cette mission-là tous les jours, tu n’as pas le syndrome de l’imposteur et ça te booste.
« Avec le vélotourisme, même à une heure de chez toi, tu as l’impression de vivre une véritable aventure »
Le “vélotaf” se démocratise de plus en plus, c’est un fait. Et le vélotourisme, dans tout ça ?
Quand j’ai commencé à m’intéresser au vélo, c’était précisément pour faire du voyage à vélo. Je suis fan, je pratique régulièrement. À l’époque, c’était assez confidentiel. Récemment, je suis allé chez Décathlon et j’ai vu qu’ils avaient développé toute une gamme de produits, juste pour s’évader, comme certains dédiés au gravel pour le bikepacking. C’est clairement un signe que les choses bougent. Les gens ont terriblement besoin de s’évader et ils se sont enfin rendu compte qu’il n’y avait pas besoin de partir à l’autre bout de la planète pour cela…
Qu’est-ce que tu aimes dans ce type de voyage à deux-roues ?
La veille du premier confinement. J’étais avec deux amis, près du lac de Biscarrosse. On observait le coucher de soleil devant un feu de camp. On était seuls au monde. Je me souviens qu’il a fait très froid la nuit et que, le lendemain, on s’est brutalement rendu compte que c’était la panique générale. C’était tellement étrange d’avoir vécu ça ensemble juste avant cet enfermement.
« On doit faire comprendre que le vélo n’est pas un produit de consommation comme les autres »
Tu penses que les fabricants de vélos comme toi ont un rôle à jouer pour développer le vélo en vacances ?
Jean Fourche est un vélo fait pour les petites balades et il est très adapté aux villes côtières et a déjà séduit quelques loueurs pour sa géométrie de cadre en taille unique qui permet une position droite, style vélo hollandais. On est ravis de travailler avec des loueurs pour leur fournir des flottes de vélos personnalisés et on voudrait continuer à développer. Pour le moment, concevoir un vélo de rando n’est pas notre priorité, mais on sera très heureux de le faire si on peut développer plus de produits. Mais notre rôle est aussi de faire de la pédagogie sur le vélo en tant que tel, pour que les gens prennent conscience que ce n’est pas un produit de consommation comme les autres. Il a un impact très fort en termes de matériaux de construction et il nécessite un réel savoir-faire, peut-être un peu perdu chez nous. Or, nous avons un rôle à jouer pour faire valoir l’industrie française.
Qu’est-ce qu’il manque pour développer le tourisme à vélo aujourd’hui, selon toi ?
Créer plus d’espaces pour les vélos dans les trains ! C’est un énorme problème alors que ce mode de transports est tellement pratique pour le tourisme à vélo. L’été, c’est l’horreur, parfois, tu es obligé d’attendre le prochain train ou celui d’après, encore. Et puis il faudra évidemment développer davantage d’infrastructures cyclables. Je vois tellement de voies ferrées délaissées qu’on pourrait transformer en pistes cyclables…
La minute culture de Benoit Maurin
Une musique pour les descentes : Queen - Bicycle Race
Une musique pour les montées : Tick Of the Clock - Johnny Jewel
Une musique pour les virages : Rone - Waves of Devotion
Un podcast : Les Baladeurs, Les Others
Un livre pour découvrir l’aventure : “On a roulé sur la terre”, d'Alexandre Poussin et Sylvain Tesson