CRS de haute montagne, monitrice, cyber-féministe, militaire, présidente d'association, autrice, maman de deux enfants… Marion Poitevin est ce genre de femme pionnière, qui est en soi un symbole et un modèle. On l’a rencontré pour parler militantisme, sexisme, empouvoirement, outdoor et tourisme durable !
Bonjour Marion ! Pour commencer, pourrais-tu nous parler un peu de toi s'il te plaît ?
Marion Poitevin : J’ai 38 ans, je suis maman de 2 enfants de 4 et 1 an. J’ai plusieurs casquettes : je suis guide de haute montagne, secouriste CRS montagne, monitrice d’escalade et aussi conférencière. Je veux briser le plafond de glace que connaissent beaucoup de femmes dans le milieu de la montagne. C'est d'ailleurs le titre et l'objet de mon livre, “Briser le plafond de glace”,
Comment es-tu devenue cette porte-parole militante des femmes dans la montagne, plus particulièrement dans l’alpinisme ?
M.P : C’est un rôle que j’ai décidé de prendre, même si ça n’a pas été facile, car il y a un vrai manque de visibilité des femmes dans les médias !
Ayant été la première femme à intégrer l’école militaire de haute montagne en 2008 puis première femme secouriste CRS montagne, j'ai acquis une sorte de carte de visite sur ce sujet. Ça me tenait à coeur de faire bouger les choses, de pouvoir faire profiter à d’autres femmes de ces opportunités professionnelles, et puis avoir des copines avec qui travailler… ça fait seulement 2 ans que j’ai une collègue femme avec moi, et on est 30 !
"L'alpinisme est un sport onéreux, fermé et élitiste"
Par rapport aux sports extrêmes, plus particulièrement l’alpinisme, comment expliques-tu qu’il y ait si peu de femmes ?
M.P : Déjà, l’alpinisme est un sport onéreux. C’est un frein, d’autant plus pour les femmes qui gagnent 30% de moins que les hommes, pour le même emploi et le même niveau d’études.
C’est aussi un sport très fermé et élitiste, avec un espèce d’entre-soi. Et c'est un sport qui subit les clichés sur les femmes : “elles ne prennent pas de risques, elles ne sont pas endurantes, elles ont peur, elles ont toujours envie de faire pipi, elles ne savent pas lire une carte, …”... Clairement, cela n’encourage pas la gente féminine à franchir le pas !
Moi-même, lorsque j’ai commencé l’escalade, je me mettais des barrières lorsque j’allais pratiquer à l’extérieur. Si les copains n’arrivaient pas à franchir un mur, je me disais que ce n’était même pas la peine que j’essaie.
La différence de force physique entre les femmes et les hommes est-elle un frein dans l'alpinisme ou l'escalade ?
M.P : Alors oui, cette différence physique n’est pas complètement fausse mais on parle quand même de sports qui ont été créés par des hommes pour des hommes !
Je vous conseille d’ailleurs le podcast de Victoire Tuaillon, “Cro-magnon, ce gentleman”, dans lequel elle décortique les clichés ancestraux du chasseur de mammouth et de la femme au fond de la caverne qui sont souvent utilisés pour justifier les différences de rôles entre les genres.
L’alpinisme change les règles car c’est un sport très long et intense, il faut réunir de nombreuses conditions pour réussir comme savoir observer le terrain, avoir le bon matériel, les bons compagnons… donc ce n’est vraiment pas la force physique pure qui va primer.
Dans l’escalade, il y a cette icône féminine, Lynn Hill, qui, en 1993, a été la première à gravir en voie libre “The Nose” dans la vallée de Yosemite. Une fois au sommet, elle aurait dit : “It goes guys!” (“ça passe les gars!”). Comme quoi, les femmes ont largement leur place dans ce sport !
"Symboliquement, les femmes occupent un rôle “indoor”. L'outdoor les aide à se libérer de ce cliché".
On sait que c’est important d’avoir plus de représentations de femmes, ce qu'on appelle des "role model". Comment peut-on en avoir plus ?
M.P: Il faut améliorer la visibilité des femmes dans les médias. Si on prend l’alpinisme, par exemple la communication est très axée sur la performance. Les meilleures performances féminines sont moindres que les masculines, du coup, personne n’en parle pas et c’est dommage !
Et puis, il faut que les femmes apprennent à reconnaître leurs exploits, car elles ont encore tendance à sous-estimer leur propre exploit.
Selon toi, est-ce l’outdoor a un rôle sur l’empouvoirement des femmes ?
M.P : Oui, bien sûr ! Mais en français le mot sonne encore bizarrement pour beaucoup d'entre nous, c’est bien la preuve qu’on a un problème avec ce concept.
Symboliquement, les femmes occupent un rôle “indoor”, à la maison. Donc finalement, le monde de l’outdoor les encourage à se libérer de ces clichés !
Ça aide aussi à prendre confiance en soi. Quand je suis devenue jeune femme, on m’a vite fait comprendre que je n’étais pas capable. Alors, je me suis tournée vers la recherche de la performance : c’était une vraie source de motivation et ça m’a aidée à faire tout ce que j’ai réalisé aujourd’hui.
Mais il y a beaucoup de barrières à aller dans la “nature”. Dans l’imaginaire, c’est quelque chose de sale, incontrôlable, inexplicable, même mystérieux, qui fait un peu peur. La nature a souvent été dénigrée, ce qui a permis à l’homme de mieux l’exploiter sous couvert de devoir maitriser cette chose sauvage.
"Au sommet de la montagne, le diktat de la beauté n'existe pas. La pression sociétale sur les femmes s'échappe"
Quels sont les bénéfices des sports de montagne sur le corps et l'esprit ? Toi, comment t’ont-ils façonnés ?
M.P : J’ai compris assez tard pourquoi j’aimais ces sports et la montagne.
A posteriori, j'ai compris que la force physique avait été très importante. J’ai fait ma première course à 14-15 ans, je m’entraînais beaucoup et ça m’a permis de gagner confiance en moi et en ma force physique, surtout en tant que femme où j’ai très vite intégré que l’homme pouvait être un prédateur.
Il y a une deuxième chose qui m’a aidée adolescente : au sommet de la montagne, le dicktat de la beauté n’existe pas. Tu peux t’habiller comme tu le veux, avoir des auréoles sous les bras, ne pas être rasée... La pression et les contraintes sociétales s’échappent complètement.
Aujourd’hui, j'ai deux enfants, il y a aussi un aspect écologique en jeu. Avant, la montagne c’était mon gymnase, ce n’était pas un environnement naturel, j’étais détachée du vivant, c’était mon lieu de travail. Aujourd'hui, j'ai cette conscience de l'importance de protéger cet environnement si fragile et je veux contribuer à porter cette parole.
Comment éduques-tu tes enfants à la protection de l’environnement de la montagne, pour leur transmettre ta passion pour ces loisirs ?
M.P : Je pense que ça passe essentiellement par le respect et l’exemple. Cette prise de conscience m’a permis d’être activiste, j'ai par exemple créé l’association "Lead the climb", affiliée à la la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), qui oeuvre à améliorer la sous-représentation des pratiquantes dans les activités de montagne.
Pour ce qui est de transmettre, comme ce sont des sports très dangereux, qui confrontent beaucoup aux risques, je ne veux pas les forcer.
Par contre, ma fille n’aura pas le choix de faire du ski jusqu’à ses 18 ans au moins (rires) !
"Pour apprivoiser la montagne, il faut accompagner les gens à s’aventurer tout seul avec une carte et un sac à dos"
Que peut-on faire pour encourager les gens à faire de l’outdoor, tout en protégeant la montagne ?
M.P: C’est toujours un dilemme ! S’il y a trop de monde en montagne, on perd totalement l’intérêt. D’un autre côté, il faut développer la curiosité et les moyens d’accès. Je crois qu'il faut accompagner les gens à s’aventurer avec une carte et un sac à dos, grâce à des personnes qui connaissent la montagne et qui peuvent les guider. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé le club Lead the Climb afin d’encourager les femmes à prendre le leaderships dans les sports de montagne !
Penses-tu que se mettre en mouvement, se déconnecter des réseaux sociaux/téléphone, peut nous aider à garder un équilibre mental ?
M.P : Bien sûr, la nature nous aide à nous sentir mieux. Mais je crois qu'il ne faut pas être caricatural. Les réseaux sociaux m'ont personnellement beaucoup aidé, à un moment où je me sentais très seule en tant que femme.
Je suis cyber-féministe, et je trouve que la magie des réseaux réside dans le fait que nous pouvons en faire quelque chose de fort et de positif en fonction des médias/personnes suivis. Ce qui me déprime moi, c’est les conditions météo qu’on peut avoir en Janvier. On appelle ça la Solastalgie.
"Ça me rend optimiste de voir à quel point l’humain peut se montrer créatif pour voyager autrement, que ce soit à vélo, en train"
Que penses-tu du tourisme durable ? Que faut-il changer pour préserver cette montagne ?
M.P : Ça me rend optimiste de voir à quel point l’humain peut se montrer créatif pour voyager autrement, que ce soit à vélo, en train… Il y a pleins de choses à faire et j’ai confiance en les nouvelles générations ! Il faut trouver un équilibre entre faire du tourisme et préserver la nature qui nous entoure.