Julien Rebuffet, directeur du Syndicat des moniteurs cyclistes de France
Il mange, respire, dort et vit vélo. C’est son boulot, son dada, un peu sa mission, aussi. Pour Julien Rebuffet, directeur du Syndicat National des Moniteurs Cyclistes Français, oui, le vélo révolutionne déjà le voyage. Mais il change aussi ses adeptes, au travers des valeurs qu’il véhicule.
Bonjour Julien ! Je sais que la curiosité est un vilain défaut, mais j’assume. Est-ce que tu pourrais me raconter ta “première fois” à vélo ?
J’ai grandi dans un petit village près de Grenoble. J'ai appris à faire du vélo sur les petits chemins agricoles cabossés. C’est là qu’est né mon amour du VTT. Aujourd’hui encore, je suis fasciné par le “flow” que me procure cette activité, un mélange de pure adrénaline et de plaisir, quand le cerveau est 100% concentré sur la tâche. Ce shoot d’endorphines, très typique du sport extrême, on y devient vite accro !
Peux-tu nous rappeler ce qu’est MCF et quel est son rôle dans l’écosystème vélo ?
MCF est un réseau de professionnels encadrant la pratique du vélo, créé à Grenoble en 1999. Notre métier est un peu “bicéphale” : il y a l’activité de guide pour encadrer des voyages ou des randonnées à vélos, et celle de moniteur, pour donner des cours de pilotage de vélo, en ville ou en montagne. Tous les moniteurs ont les deux profils. Certains choisissent l’une ou l’autre voie, et d’autres mixent les deux. Nous sommes aujourd’hui 1400 MCF sur tout le territoire.
« Le vélo, c’est le médium parfait pour un tourisme qualitatif »
Quelles évolutions constates-tu ces 10 dernières années par rapport à la place du vélo dans notre société ?
L’ère du vélo revient, il reprend la place et l’intérêt qu’il n’aurait jamais dû quitter, au quotidien, mais aussi comme loisir et en vacances. Je travaille dans ce secteur depuis 20 ans et je vois une véritable évolution depuis une dizaine d’années. Mais le véritable tournant a eu lieu après Covid, qui a replacé le vélo dans l’esprit des gens. Le gouvernement, également, le prend beaucoup plus au sérieux. Il y a un plan vélo, de plus en plus d’acteurs puissants, comme France Vélo tourisme, Vélo & territoires. Toute une filière s’est créée, parmi laquelle un groupe de travail sur le tourisme à vélo, dont MCF fait partie. La filière pèse désormais dans les enjeux économiques, climatiques et énergétiques.
Pourquoi le vélotourisme plaît-il de plus en plus ?
L’envie d’un retour à la nature, d’un besoin de ralentir, de faire les choses à la bonne vitesse. Il n’y a qu’à voir l’intérêt croissant pour les loisirs et l’expérience d’itinérance. En tant que moniteur et guide, on voit débarquer de nouvelles générations, très différentes des cyclotouristes à l’ancienne. Ce public est souvent plus urbain, il n’a pas toutes les connaissances du vélo, mais il sait que c’est le médium parfait pour un tourisme qualitatif : avec le vélo, le déplacement fait partie intégrante du voyage et de l’expérience. La vitesse fait qu’on peut s’imprégner des paysages, mais aussi faire des rencontres et se ressourcer pleinement : à vélo, on peut tout aussi bien admirer le paysage et laisser divaguer sa pensée.
« Avec le vélo, on se réapproprie une forme de voyage qu'on avait oubliée et délaissée »
D’où vient ce besoin de ralentir, selon toi ?
Le “toujours plus loin, toujours plus vite, plus fort”, on voit où ça nous mène… Le vélo remet du sens dans nos vies, sans renoncer au déplacement et au voyage. Avec le vélo, ce n’est pas : “rester chez vous, arrêtez de bouger, ne faites plus rien, privez-vous !” C’est “venez, on voyage autrement”.
En 1800, le vélo a été un outil d'émancipation pour les femmes. Est-ce qu’il pourrait aussi nous servir à tous pour changer le visage du tourisme ?
Complètement ! C’est un flash-back, on revient à l’ère post-industrielle, et on se réapproprie une forme de voyage qu’on avait oubliée et négligée, celle de la quête. À l’époque, on faisait plutôt des pèlerinages. Partir sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle était un récit en soi. C’est ça qui est intéressant dans le voyage : composer sa propre expérience. Le vélo n’est que le fil conducteur de cet itinéraire, c’est un peu son moteur, aussi, pour nous permettre de redevenir acteurs de nos voyages. C’est un peu le contrepied du touriste assis dans l’avion, assis dans le minibus, assis dans le car, qui descend faire des photos puis se rassoie de nouveau, dans une forme de frénésie passive. La temporalité est fondamentale dans le voyage et le vélo répond à cela : il n’est ni trop lent ni trop rapide.
« Nous sommes des passeurs de savoir »
Quel est le rôle de MCF dans le développement du vélotourisme en France ?
Nous avons deux missions principales : nous organisons des séjours à vélo, en liberté ou encadrés et nous participons à faire comprendre et à apprécier les destinations, en garantissant la meilleure expérience possible. On emmène les gens aux bons endroits, sur les bons parcours. Pour les publics moins connaisseurs, il y a encore beaucoup de choses à savoir sur le vélo et les conditions optimums pour profiter d’un parcours de qualité. Nous transmettons énormément d’informations, de savoirs, d’astuces qui concourent à faire de cette expérience un moment inoubliable. MCF joue un peu au scout, quelque part : il prépare cette aventure dont on ne maitrise pas toujours tous les angles morts, pour que le conte de fée ne se transforme pas en cauchemar. Et finalement, on participe aussi à amplifier le slow travel, en donnant envie aux gens de transformer l'essai pour devenir des cyclistes plus avertis.
Quels sont les combats à mener pour imposer franchement ce modèle de tourisme durable et écolo ?
Il y a encore un travail à faire sur les mentalités, notamment pour faire en sorte que l’écosystème du tourisme soit plus vélo-friendly. En Espagne, au Portugal, en Italie, on est bien accueillis. Ce n’est pas toujours le cas en France. Il y a aussi des curseurs à faire bouger. Aujourd’hui, on a un super label, Accueil Vélo, mais il devrait être plus accessible et moins contraint dans son développement. Par exemple, la France sous-exploite son réseau de routes secondaires, pourtant gigantesque et d’une richesse incroyable ! Il devrait être valorisé, en complément des véloroutes, voies vertes et des grands itinéraires que tout le monde connait. Enfin, il faut accélérer le savoir-rouler à l’école et le compléter avec des expériences de randonnées à vélo et en itinérance dès l’école primaire. Cela permettrait à tous les élèves de s’imprégner de l’art de vivre et des valeurs humanistes du cyclisme : la solidarité, la simplicité, l’effort, l’aventure, mais aussi un art de vivre à la fois épicurien (on découvre aussi le patrimoine gastronomique !) et sobre (circuit court, manger sain et bio).
À quoi ressemblera le tourisme et le voyage de demain ?
Il sera plus réfléchi, plus raisonné, décarboné. Faire son selfie sur tous les spots incontournables du globe ne sera plus la chose la plus hype. On cherchera plus d’authenticité.
Et le vélo de demain, il ressemblera à quoi ?
Il restera très simple. On se dirige vers l’ère de la sobriété… Or le vélo n’a besoin de personne d’autre que son maître. La preuve, les bécanes du début du siècle qui n’ont pas pourri dans les caves roulent encore très bien ! Si on est un peu fous et qu’on s’imagine un scénario à la Mad Max, on peut même imaginer que le vélo sera la dernière technologie qui survivra. Trois bouts de soudure et vous avez des superpouvoirs !
LA MINUTE CULTURE de Julien Rebuffet
Une musique pour les virages : “Ces années-là”, version Yannick
Une musique pour les descentes : “Vaudoo child”, Jimmy Hendrix
Une musique pour les montées : “On lâche rien”, Saltimbanques, pour se motiver quand on est face à un gros col à passer
Un podcast pour chiller sur son vélo : “Very good trip”, de Mishka Assayas (France Inter), qui part toujours à la rencontre d’artistes et de courants musicaux incroyables.
Un livre pour partir à l'aventure : “Un an de cabane”, d’Olaf Candau, sorti bien avant le carton ciné d’”Into the Wilde”. L’histoire d’un champion VTT de la 1ʳᵉ heure (dans les années 80), parti vivre dans une cabane isolée du Yucon (Canada) en toute autonomie pendant un an… Ça m’a fait énormément rêver !