Hello Anne-Emmanuelle, très heureuse de te rencontrer ! Pour commencer, peux-tu nous parler un peu de toi ?
Anne-Emmanuelle Nettersheim : Bien sûr ! J'ai 44 ans et j'ai étudié la direction artistique. J'ai rapidement su que je voulais créer quelque chose pour moi, alors j'ai monté une agence de communication et travaillé en santé.
En 2013, j'ai rejoint une marque de trail, WAA, c’était passionnant. J'ai découvert le monde du trail de l'intérieur et rencontré de nombreux athlètes, mais j'ai souvent ressenti une frustration due aux produits féminins stéréotypés.
En 2020, j'ai quitté Oia et, avec deux amies, j'ai décidé de créer TwoSixOne pour répondre aux besoins réels des femmes coureuses. Notre marque rend hommage à Catherine Switzer, la première femme à courir officiellement un marathon en 1967.
« On adapte nos produits aux corps des femmes »
Concrètement, en quoi ta marque répond aux besoins spécifiques des femmes ?
A-E.N : La morphologie de notre sac à dos est adaptée à la poitrine des femmes et leur dos plus court et plus fin. La flasque d'eau ne se rentre pas de la même manière que sur les sacs habituels par exemple. Et le sac est totalement ouvert, pour laisser respirer le dos, car une femme court souvent avec une brassière et un tee-shirt en-dessous et son sac et c'est vite difficile à gérer avec la chaleur.
On fonctionne pareil avec les shorts et les leggings, pour lesquels on cherche à répondre à la problématique des cuisses qui frottent. Les shorts sont souvent trop courts pour les femmes et ne protègent pas assez bien des frottements. Les nôtres sont plus longs et on insère une protection supplémentaire en-dessous. Pour les leggings, on peut choisir sa longueur de jambe et les chaussettes, on les a imaginées plus girly !
Comment est né TwoSixOne ?
A-E.N : TwoSixOne est né d'une frustration. En travaillant dans l'industrie du trail, j'ai souvent ressenti que les besoins des femmes étaient sous-estimés ou mal compris. Par exemple, il était courant de simplement ajouter des couleurs comme le rose ou le saumon aux produits masculins et de les appeler "féminins". En 2020, après avoir quitté mon poste dans une grande marque de trail, j'ai voulu créer quelque chose de nouveau, quelque chose qui répondait réellement aux besoins des femmes coureuses. Avec une amie, nous avons commencé à travailler sur un sac à dos innovant, conçu spécifiquement pour les femmes. Cette innovation, qui permet de détacher une partie du sac, a été le point de départ de notre marque.
“Les femmes sont moins visibles sur les grandes courses emblématiques et cela se reflète dans développement de produits adaptés à elles”
D’où venaient tes frustrations précisément ?
A-E.N : Le milieu du sport a historiquement été dominé par les hommes et même si les choses évoluent, les femmes sont moins visibles sur les grandes courses emblématiques, ce qui se reflète chez les fabricants et les décideurs. Dans les deux marques de trail pour lesquelles mon associée et moi avons travaillé, les décisions concernant le développement produit étaient majoritairement prises par des hommes. Cela contribue à un manque de produits adaptés pour les femmes, alors même qu’elles courent autant que les hommes ! De plus, beaucoup de marques développent leurs produits en collaboration avec des athlètes de haut niveau, souvent très fit et avec peu de poitrine. Mais les coureuses du quotidien, qui ne sont pas des athlètes professionnelles, ont des besoins différents, adaptés à leurs vrais corps. Heureusement, des entreprises commencent à prendre en compte ces besoins spécifiques, comme Salomon qui développe des sacs à dos de plus petits volumes spécialement pour les femmes.
“Une femme m’a raconté qu'elle courait dans son jardin parce qu'elle avait honte de courir en public.
Comment tu t’es lancée ?
A-E.N : En 2022, on a lancé un compte Instagram pour tester notre idée. On voulait créer une communauté et voir si notre produit pouvait fonctionner via une campagne de crowdfunding. Au départ, on n'avait que des prototypes et aucune idée de l'ampleur que cela prendrait. Un jour, j'ai posté une question sur Instagram, demandant aux femmes de partager leurs problèmes en course. Le lendemain, j'ai reçu des dizaines de messages vocaux de femmes partageant leurs histoires. J'ai réalisé qu'on pouvait vraiment créer une communauté forte, où chacune partage ses expériences et ses défis. Par exemple, une femme m'a raconté qu'elle courait dans son jardin parce qu'elle avait honte de courir en public. C'était puissant et cela m'a motivée à donner une voix à ces femmes.
Et comment as-tu su quels produits développer en premier pour tes utilisatrices ?
A-E.N : Nous avons lancé un questionnaire en ligne pour recueillir des témoignages et des problèmes rencontrés par les coureuses. La réponse a été incroyable. En l’espace de quelques heures, nous avons reçu des centaines de témoignages. Ces retours nous ont permis de comprendre les besoins spécifiques des femmes en matière d'équipement de course. Nous avons identifié trois produits clés : le sac à dos, les leggings, et les brassières. Aujourd'hui, notre sac à dos est en précommande et nous avons également lancé une paire de chaussettes. Nous continuons de travailler sur des leggings et des shorts (et pas qu’en noir, ras le bol !) pour répondre aux besoins de nos utilisatrices.
“De plus en plus de femmes prennent leur pratique à cœur et en font une revendication”
Et toi, d’où vient ta passion pour le trail ?
A-E.N : J'ai commencé à courir en 2010, et cela m'a apporté énormément de confiance en moi. C'est une école de la vie : on apprend à gérer les hauts et les bas, à se relever après les chutes. Le trail m’a aussi appris le lâcher-prise et la persévérance, des qualités essentielles dans la vie professionnelle et personnelle.
“Le sport d’extérieur a quelque chose de mystique”
Comment perçois-tu l'évolution de la place des femmes dans l'outdoor ?
A-E.N : Ça bouge positivement. De plus en plus de femmes prennent leur pratique à cœur et en font une revendication. Il y a encore du travail à faire, notamment en termes de visibilité dans les médias et de sécurité en course. Mais les statistiques montrent une augmentation du nombre de femmes au départ des courses. Nous avons des modèles inspirants comme Connilee Walter, une américaine de 54 ans qui est juste une fusée, qui nous montrent que tout est possible.
Quelle est la différence entre le sport d'intérieur et le sport d'extérieur selon toi ?
A-E.N : Le sport d’extérieur a quelque chose de mystique. Courir en pleine nature, sentir l'air frais, écouter les sons de la forêt, c'est une forme de méditation. Ça permet de se reconnecter à des instincts primaires et de se sentir en harmonie avec son environnement, et franchement, c’est incroyablement puissant.